Pourquoi ne pas faire du pistachier l’arbre du futur en Tunisie, comme l’ont été et le sont encore les oliviers, les palmiers dattiers ou les orangers ? Nous avons en Tunisie 30 000 hectares plantés de pistachiers, dont 15 000 en terres domaniales. Les principaux producteurs mondiaux sont la Californie et l'Iran, qui assurent plus des trois quarts de la production mondiale, laquelle atteint 600 000 tonnes.
D'un côté, en Iran, la productivité est de 8 tonnes par hectare. Si nous pouvions atteindre seulement 25 % de la productivité iranienne, la Tunisie pourrait produire 60 000 tonnes de pistaches. Cependant, nous n'en produisons que 4 000 à 5 000 tonnes actuellement.
De l'autre côté, l'Europe importe 80 000 tonnes de pistaches, un marché qui aurait pu être le nôtre. Les exportations de pistaches auraient même pu surpasser celles de l'huile d'olive. Mais en réalité, nous sommes importateurs.
Le pistachier consomme très peu d'eau et supporte les sécheresses extrêmes. Lorsque l'irrigation est nécessaire, l’eau pourrait provenir du dessalement des eaux saumâtres souterraines grâce à l’énergie solaire, ou encore de la station de dessalement d’eau de mer de Sfax, récemment installée et désormais fonctionnelle. De plus, avec le prix élevé de la pistache, il serait envisageable de créer des stations locales de dessalement.
Il est à noter que le pistachier commence à fructifier à partir de la cinquième année et devient pleinement productif à la septième. La production est généralement de 2 à 5 kg de pistaches fraîches, soit 1 à 2 kg de noix sèches. Le pistachier nécessite une pollinisation manuelle et produit une année sur deux.
Le potentiel d’un tel produit ne réside pas seulement dans sa valeur marchande et sa rentabilité. Il s’agit aussi de produire des pistaches pour distinguer notre terroir des autres, avec un effet d’entraînement sur d’autres secteurs comme le tourisme territorial et le tourisme vert, créant ainsi plus de valeur ajoutée. Les pistaches de Sidi Yaiche ou celles du Ktar devraient bénéficier d'une appellation contrôlée et ne pas être vendues en vrac, tout comme l’huile d’olive.
C'est une véritable opportunité pour Kasserine, Sidi Bouzid et Gafsa, à condition de développer une filière fruits secs et de savoir négocier avec les Européens. Cependant, c'est à Majel Bel Abbès (gouvernorat de Kasserine) que les pistachiers poussent le mieux, grâce à des conditions favorables : altitude, gel en hiver et températures très chaudes en été.
Les Californiens mènent actuellement une grande campagne pour promouvoir la consommation de pistaches ("des pistaches à la place des chips"), comme ils l’ont fait avec les amandes. La pistache contient environ 50 % de matières grasses, dont 82 % sont des acides gras insaturés, ainsi que 19 % de protéines et 16 % de glucides. Elle est également une source de vitamines B6, B1, de manganèse, de phosphore et de magnésium. Il est essentiel d'exploiter ces atouts pour se positionner sur le marché mondial. En plus de ses qualités nutritives, le pistachier est un très bel arbre. Ce créneau est prometteur, notamment pour sa composante biologique, très demandée à l’export et à forte valeur ajoutée. Si la Turquie sait le faire, pourquoi pas nous ?
Le gouvernorat de Gafsa, à lui seul, a un potentiel de 10 millions de pieds de pistachiers, soit une production estimée entre 20 000 et 40 000 tonnes, si le problème de l'eau est résolu.
Le prix d’une tonne de pistaches décortiquées conditionnées est de l’ordre de 80 000 dinars. Le potentiel de la pistache en Tunisie pourrait d’ailleurs surpasser celui de l’huile d’olive en termes de revenus d’exportation, et certainement celui des dattes.
Il est également intéressant de rappeler que dans la région de Gafsa, les mamans, au moment de sevrer leur bébé, ajoutaient une petite dose de pistache finement moulue à quelques gouttes d’huile d’olive, qu'elles donnaient aux nourrissons pour stimuler leur intelligence.
Sfax a également une longue histoire avec le pistachier, qui a été introduit dans la région par M. Hsouna Mezghani, premier ingénieur agronome de Sfax, sur le Domaine du Chaal.
Toujours à propos des pistachiers et de Sfax, citons ce point d'histoire : "Il y a des pistachiers dans presque tous les jardins, et les pistaches de Sfax jouissent d'une grande réputation. Leur valeur est de 2 à 3 francs le kilogramme. La présence des pistachiers dans les jardins de Sfax a une origine qui mérite d'être mentionnée. Il n'y avait aucun de ces arbres à Sfax il y a quarante ans ; mais, à cette époque, le bey ordonna, par décret, aux propriétaires de Sfax de planter trois pistachiers dans chaque jardin. Depuis lors, la pistache est devenue l'objet d'un certain commerce, prouvant que l'autorité peut avoir du bon, tout comme la liberté...", comme le disait Charles Lallemand (La Tunisie, pays de protectorat français, 1892).