Et si nous créions une nouvelle politique agricole ?
C'est vrai que notre agriculture souffre de nombreux maux... C'est vrai que notre agriculture manque de main-d'œuvre qualifiée et suffisante, et que la jeunesse délaisse le secteur. C'est vrai que le monde rural souffre de conditions de vie et de travail difficiles, ainsi que d'une insécurité qui y règne.
C'est vrai que les coûts de production ont fortement augmenté ces dernières années pour un marché volatile, dépendant des exportateurs et des marchés européens sans visibilité, et des marchés incertains. C'est vrai que nos agriculteurs manquent souvent de ressources financières pour supporter une année à crédit.
C'est vrai que le financement est un véritable casse-tête dans le secteur agricole, largement délaissé par les banques. C'est vrai que nous subissons les effets du changement climatique avec des sécheresses récurrentes. C'est vrai que les rendements à l'hectare sont très faibles, tant en arboriculture qu'en grandes cultures, notamment pour les céréales. C'est vrai que notre forêt d'oliviers et nos palmiers dattiers nécessitent un rajeunissement. C'est vrai qu'il y a des préoccupations liées à la plantation de nouvelles variétés d'oliviers, nécessitant une grande consommation d'eau et d'énergie, et contribuant à l'augmentation de la salinité. C'est vrai que l'avenir de l'agriculture en sec, tout comme celui des zones irriguées, suscite des interrogations.
C'est vrai que des obstacles administratifs et techniques freinent l'intégration des filières agricoles et agroalimentaires, avec des cahiers des charges bureaucratiques pour les industries alimentaires, difficiles à adapter aux petits producteurs et aux potentiels exportateurs. Sur certains créneaux, il existe effectivement peu d'exportateurs qui monopolisent les marchés, générant ainsi une rente de situation. C'est vrai que les subventions sont concentrées chez les grands agriculteurs, et que les petits producteurs ont du mal à y accéder. C'est vrai que nous faisons face à une concurrence déloyale avec l'Europe, et à une dégradation de la qualité des produits par filière.
C'est vrai qu'il manque des programmes de recherche et développement en lien avec les agriculteurs. C'est vrai que les statistiques agricoles ne sont pas suffisamment fiables, car les agriculteurs ne sont pas considérés comme des opérateurs économiques à part entière. C'est vrai que les problèmes fonciers et leur morcellement posent de sérieux problèmes de rentabilité, en raison de la taille critique des exploitations.
Enfin, c'est vrai que l'administration, malgré sa taille, n'a pas évolué en fonction des mutations nationales et internationales du secteur agricole, d'où un grave problème de gouvernance des pouvoirs publics dans ce domaine.
Et pourtant, il est urgent d'agir. Il y a des actions à effets immédiats, mais aussi des actions à moyen terme dont le lancement est tout aussi urgent.
Comment changer la situation de notre pays ?
Parmi les actions à effets immédiats, il est nécessaire de reprendre les négociations avec l'Europe sans complexes, en imposant nos conditions avec des arguments solides, tout en recherchant de nouveaux marchés à l'export, comme la Russie, l'Afrique subsaharienne, l'Asie du Sud-Est. Cela concerne notamment la filière oléicole, les dattes, les agrumes, les grenades, les pistaches, etc. Il est essentiel de promouvoir les produits tunisiens à l'étranger grâce à des campagnes attrayantes et percutantes, ciblant chaque marché. À court terme, il faut aussi fournir à la filière céréalière les engrais et les moyens de stockage nécessaires pour protéger la récolte de cette année.
À moyen terme, il nous faut être ambitieux. Nous devons équilibrer la balance alimentaire et assurer l'autosuffisance en blé et en corps gras. Pour y parvenir, le secteur agricole doit rompre avec les politiques antérieures et adopter de nouvelles conceptions, en engageant une modernisation. Il faut revoir la carte agricole en fonction des écosystèmes et l'adapter aux types de cultures recommandées.
Il est également nécessaire de promulguer une loi favorisant le remembrement des terres, pour lutter contre leur morcellement. Il faut procéder à la cadastration des terres agricoles et attribuer des titres fonciers aux propriétaires privés, tout en abordant sérieusement la question des terres domaniales et collectives. Une nouvelle politique céréalière, s'appuyant en partie sur des semences locales, est également indispensable.
De plus, nous devons améliorer les rendements grâce à l'innovation technologique et scientifique, en lien notamment avec les green tech et les start-up qui développent des solutions pour le secteur. Il est crucial de généraliser l'utilisation de l'eau d'irrigation provenant des stations de dessalement d'eau de mer, alimentées par des énergies renouvelables. Il est également important de valoriser nos produits agricoles en y ajoutant de la valeur, via l'agriculture biologique, la permaculture, l'innovation et le marketing territorial, en s'appuyant sur des coopératives de transformation et de commercialisation.
Il est recommandé de créer des structures par filière, incluant toutes les parties prenantes, pour faciliter la mutualisation des coûts et l'accès aux marchés locaux et internationaux. La Banque Nationale de l'Agriculture devrait être obligée d'accorder des crédits aux filières à hauteur de 50%, contre seulement 15% actuellement. Il faut également revoir la politique des subventions, en ciblant les petits agriculteurs et en facilitant leur accès à travers une stratégie efficace de vulgarisation, en recrutant des ingénieurs agroéconomistes actuellement au chômage.
Enfin, il est impératif d'améliorer les conditions de travail pénibles, notamment pour les femmes qui souffrent de mauvaises conditions de transport et de l'absence de couverture sociale ou d'assistance en cas de sinistre.
Pourquoi pas ?
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