Aux marges de la Conférence Arabo-Africaine sur la Science et la Technologie pour la Réduction des Risques de Catastrophe


La Ministre de l’Environnement met l’accent sur la Réduction des Risques de Catastrophe en Tunisie

 

Lors de la Conférence Arabo-Africaine sur la Science et la Technologie pour la Réduction des Risques de Catastrophe, qui se tient en Tunisie les 02 et 03 octobre 2023, Madame la Ministre de l'Environnement, Leila Chikhaoui, a souligné la vulnérabilité du pays aux effets des changements climatiques. La Tunisie est potentiellement exposée à diverses catastrophes, notamment les tremblements de terre, les invasions acridiennes, les épidémies sanitaires humaines et animales, les incendies de forêts, les tempêtes en mer, les tempêtes de sable ou de neige, les orages violents, les inondations, la sécheresse, etc., en raison de son environnement naturel et anthropique. C’est la raison pour laquelle la Tunisie est signataire de la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques depuis 1992, ainsi que de ses protocoles additionnels et de l'Accord de Paris sur le climat de 2015. La Tunisie dispose également d'un dispositif interne de lutte contre les calamités en vigueur depuis 1991.

Lors de son intervention, Madame la Ministre a confirmé que  la Tunisie a été confrontée à une période de sécheresse qui a duré 25 ans, mettant en évidence la vulnérabilité croissante du pays aux effets des changements climatiques. Depuis 1907, on a observé une augmentation significative du nombre de journées chaudes et une augmentation de la température moyenne annuelle d'environ 1.4 degré Celsius. Ces variations climatiques ont eu un impact considérable sur le pays. Entre 1980 et 2023, les catastrophes liées aux aléas naturels ont engendré d'importantes conséquences humaines et matérielles. Elles ont malheureusement entraîné la perte de 1 098 vies (à l'exclusion des décès liés à la COVID-19), touché près de 300 000 personnes et causé la destruction ou les dommages de près de 45 000 habitations. Selon les données de pertes dues aux catastrophes compilées par le ministère de l'Environnement en 2014, la Tunisie a été touchée par environ 2 500 catastrophes entre 1980 et 2013, entraînant la perte de 1 075 vies.

Parmi les catastrophes notables, elle a mentionné les inondations survenues à Nabeul en 2018, qui ont enregistré des pertes et des dommages estimés à 106 millions de dollars, ainsi que la perte de 2 400 emplois. De plus, les incendies de forêt ont été une préoccupation majeure, avec un total de 4 332 incendies entre 2005 et 2020, détruisant environ 41 000 hectares de zones forestières.

Madame la Ministre a confirmé ainsi que plusieurs facteurs ont contribué à la croissance des pertes dues aux risques de catastrophe en Tunisie. Parmi les plus importants figurent les changements climatiques, qui ont exacerbé les événements climatiques extrêmes, l'urbanisation rapide qui a augmenté la vulnérabilité des zones peuplées, ainsi que les taux élevés de pauvreté qui ont rendu certaines communautés particulièrement vulnérables. Elle a signalé que les pertes économiques résultant de ces catastrophes au cours des 30 dernières années ont dépassé le milliard de dinars, avec les inondations représentant plus de 700% des décès, plus de 60% des pertes économiques, et les pertes économiques dues aux sécheresses atteignant 18%. Si des mesures de réduction des risques de catastrophe ne sont pas mises en place en Tunisie, une augmentation annuelle des pertes économiques de plus de 138 millions de dollars est attendue, soulignant l'urgence d'adopter et de mettre en œuvre des stratégies de réduction des risques de catastrophe pour protéger la vie et les moyens de subsistance des citoyens tunisiens.

La réduction des risques de catastrophe : Prévention, Préparation, Réponse

La réduction des risques de catastrophe s'appuie sur une approche internationale qui englobe plus de 30 ans d'engagements internationaux, débutant en 1989 avec l'élaboration de la stratégie cadre de mise en œuvre de Yokohama pour un monde meilleur en 1994, et se poursuivant jusqu'à l'évaluation en cours à mi-parcours du cadre de Sendai en 2023. Parallèlement, la base de données "DESINVENTAR", destinée à l'archivage des catastrophes avec évaluation des pertes et des dommages occasionnés, a été mise en place en 2013 et a couvert la période de 1982 à 2012. Il s'agit d'un logiciel développé par le Bureau des Nations Unies pour la réduction des risques de catastrophe (UNDRR).

Madame Chikhaoui a rappelé dans ce cadre que la réduction des risques de catastrophe repose sur trois actions fondamentales : la prévention, la préparation et la réponse. En matière de prévention, les études d'impact sur l'environnement (EIE) et les études de danger (ED) réalisées préalablement au commencement d'exécution des projets intègrent toutes les mesures et précautions nécessaires pour la préservation des milieux naturels et des écosystèmes tels que les oueds et les cours d'eau. Ces mesures sont conçues pour lutter contre les catastrophes d'origine accidentelle ou anthropique, notamment la pollution marine et la pollution de l'environnement.

En ce qui concerne la préparation, les interventions sont menées par les institutions compétentes en fonction des types d'aléas hydrométéorologiques, tels que les inondations, les vagues de froid, la neige, les éboulements, ainsi que les incendies de champs de céréales et les feux de forêts. Ces actions de préparation sont adaptées aux saisons et aux régions concernées, afin de mieux anticiper et réagir aux situations d'urgence.

Quant à la réponse aux catastrophes, elle est mise en œuvre par les institutions compétentes, avec le soutien et le renfort d'autres acteurs tels que le secteur privé, les ONG et les institutions internationales, en fonction des besoins et des situations. Toutes les institutions nationales sont mobilisées pour apporter leur soutien, et elles peuvent être réquisitionnées lorsque cela est nécessaire pour faire face à une catastrophe et en atténuer les effets. Cette approche collaborative permet une réponse plus efficace et coordonnée aux situations d'urgence.

Étapes de la Réduction des Risques de Catastrophe en Tunisie

En ce qui concerne la gestion de la situation de réduction des Risque de Catastrophe en Tunisie, Madame la Ministre est revenue sur des dates clés qui ont marqué le pays. En effet, entre 1991 et 2010, suite au Sommet de la Terre en 1992, la Tunisie a élevé l'environnement et le développement durable au rang de politique nationale, avec la création d'un ministère dédié et la mise en place de nombreuses institutions et commissions spécialisées. Des textes spécifiques ont également été promulgués à cet effet. Cependant, cette politique, bien qu'ayant intégré le concept de développement durable, a largement négligé la réduction des risques de catastrophe, reléguant les activités de prévention au second plan et mettant l'accent sur la réaction, notamment à travers le système national de gestion des catastrophes instauré en 1991 (Loi n° 91-39 du 8 juin 1991), qui est toujours en vigueur à ce jour. En outre, à partir de 1996, une planification d'intervention d'urgence en cas d'événements de pollution en mer a été mise en place (Loi n° 96-29 du 3 avril 1996), et ce dispositif a notamment été activé lors de l'accident du navire XELO survenu le 15 avril 2023 au large des côtes de Gabès.

Il est important de noter que le Rapport national de suivi de la mise en œuvre du Cadre d'action de Hyogo (2011-2013) constitue la première contribution du pays au processus d'analyse engagé par les parties. Il a été élaboré selon une approche participative, bénéficiant du soutien du Bureau des Nations Unies pour la Réduction des Risques de Catastrophe (RRC) ainsi que de l'appui de nombreuses institutions internationales présentes en Tunisie. Parmi ces institutions, Madame Chikhaoui l'Observatoire du Sahel et du Sahara (OSS) pour la prévention des sécheresses, l'ALECSO pour la coordination du réseau arabe de RRC, l'Institut de recherche pour le développement (IRD) pour ce qui concerne l'application des Systèmes d'Information Géographiques (SIG) aux risques hydrologiques, et enfin le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) pour la gestion des crises humanitaires aiguës.

À partir de 2012, le pays a lancé l'élaboration d'une Stratégie nationale de Réduction des Risques de Catastrophe au sein d'une commission informelle, tout en créant une plateforme nationale multisectorielle de RRC. De plus, l'élaboration d'un Plan d'action a été entamée, se basant sur l'étude de réduction des risques de catastrophe dans le Grand Tunis, couvrant la période jusqu'à l'horizon 2030.

Entre 2011 et 2023, deux Constitutions ont été adoptées, conférant une valeur constitutionnelle au droit de l'homme à un environnement sain et mettant l'accent sur la contribution de l'État à la sécurité climatique et au développement durable pour préserver les droits des générations futures. Cela a conduit à l'émergence d'une approche globale de prévention, de réduction et de gestion des catastrophes.

De même, la Loi n°91-39 de 1991 du 8 juin 1991 relative à la lutte contre les calamités, à leur prévention et à l'organisation des secours constitue un cadre juridique essentiel pour la gestion des risques de catastrophe en Tunisie. Cette loi a été mise en œuvre par le décret n°93-947 du 26 avril 1993, qui a fixé les modalités d'élaboration et d'application du Plan national et des plans régionaux relatifs à la lutte contre les calamités, leur prévention et l'organisation des secours. Ce cadre réglementaire a été récemment modifié par le décret n°2023-159 du 17 février 2023, afin de l'adapter aux évolutions et aux besoins actuels.

Dans le cadre de cette législation, une commission nationale et des commissions régionales et locales de lutte contre les calamités ont été mises en place. Ces commissions sont composées de représentants de 15 ministères, en plus des représentants d'établissements publics concernés, tels que l'ONAS. Elles jouent un rôle crucial dans la coordination des actions de prévention, de préparation et de réponse aux catastrophes à l'échelle nationale, régionale et locale.

Par ailleurs, le Code des collectivités locales, promulgué par la loi n° 2018-29 du 9 mai 2018, a introduit certaines dispositions importantes relatives aux responsabilités, aux compétences et aux ressources des communes en matière d'urbanisme et de gestion des risques de catastrophe. Ces dispositions sont énoncées dans les articles 119, 150 et 267 du Code. Elles renforcent le rôle des collectivités locales dans la gestion des risques de catastrophe, notamment en ce qui concerne la planification urbaine et la protection des citoyens contre les aléas naturels et anthropiques. Cette intégration des enjeux liés aux risques de catastrophe dans la législation locale contribue à une meilleure préparation et à une réponse plus efficace aux situations d'urgence au niveau des municipalités.

Tunisie : La Plateforme Nationale de la Réduction des Risques de Catastrophe

La Tunisie a tracé des perspectives ambitieuses pour renforcer sa résilience aux catastrophes et intégrer la Réduction des Risques de Catastrophe (RRC) dans tous les secteurs de développement. L'une des mesures clés consiste à créer une Plateforme Nationale de RRC, qui jouera un rôle central dans la coordination et la mise en œuvre des actions de prévention et de gestion des catastrophes. Cette plateforme sera composée de trois entités principales :

  • Organe de Surveillance (Comité de Pilotage) : Composé de hauts représentants des institutions gouvernementales, du secteur privé et de la société civile, ce comité se réunira au moins deux fois par an pour superviser et orienter les efforts en matière de RRC.
  • Structure Permanente de Résilience (SPR) : La SPR assurera le secrétariat de l'organe de surveillance et sera chargée du suivi des programmes de RRC, du renforcement des capacités, de la collecte de données statistiques et de la coordination avec les organismes nationaux et internationaux compétents. Son rôle sera essentiel pour garantir une approche holistique et coordonnée de la RRC.
  • Système de Surveillance, Coordination et Suivi : Ce système sera doté d'une salle équipée de moyens de surveillance, de coordination, de suivi et d'alerte précoce des risques multiples. Il permettra une réponse rapide et efficace aux situations d'urgence et contribuera à la gestion proactive des risques de catastrophe.

L'accélération de la création de la SPR est une priorité, et des ressources financières, matérielles et l'expertise nécessaires seront mises à disposition grâce au budget alloué au quatrième axe du Programme Intégré de Résilience, soit 2 millions d'euros. La mise en place de ces structures sera réglementée par des textes précis détaillant leur composition et leurs modalités de fonctionnement. Ces mesures visent à renforcer la coordination, la préparation et la réponse aux catastrophes en Tunisie, tout en intégrant la RRC dans toutes les sphères de développement pour une meilleure protection des populations et des biens contre les risques naturels et climatiques.

En effet, la Stratégie nationale de Réduction des Risques de Catastrophe (RRC) en Tunisie à l'horizon 2030 vise à :

  • Renforcer la prévention des risques de catastrophe en intégrant la RRC dans la planification du développement durable et en appliquant des mesures d'atténuation pour réduire la vulnérabilité des communautés.
  • Améliorer la préparation et la réponse aux catastrophes en développant des mécanismes d'alerte précoce, en renforçant les capacités nationales de gestion des catastrophes, et en garantissant une coordination efficace entre les acteurs impliqués.
  • Promouvoir la sensibilisation et la participation de la société civile dans la RRC pour renforcer la résilience des communautés.
  • Renforcer la coordination nationale et internationale pour garantir une mise en œuvre efficace de la RRC.
  • Mettre en place un système de surveillance, de suivi et d'évaluation pour évaluer la mise en œuvre de la RRC et ajuster les actions en conséquence.

 

La réalisation de ces objectifs nécessitera une collaboration étroite entre les ministères et institutions gouvernementales, le secteur privé, la société civile, les médias, les organisations internationales et régionales, ainsi que la mobilisation de ressources financières et techniques adéquates.

Le Programme Intégré de Résilience aux Catastrophes (PIRC) « RESCAT »

Le Programme Intégré de Résilience aux Catastrophes (PIRC), également connu sous le nom de RESCAT, vise principalement à renforcer la gestion et le financement des risques de catastrophe en Tunisie, tout en améliorant la protection des populations ciblées et des biens face aux catastrophes naturelles et aux effets des changements climatiques. Prévu sur une période de sept ans, de 2021 à 2027, le PIRC dispose d'un budget total de 101,95 millions d'euros. Son financement repose en grande partie sur des prêts, avec une contribution de 81,3 millions d'euros provenant de l'Agence Française de Développement (AFD) et de la Banque Mondiale (40 millions d'euros et 41,3 millions d'euros, respectivement). Le gouvernement tunisien (GT) participe également au financement du programme en y contribuant avec un montant de 20,65 millions d'euros.

Le Programme Intégré de Résilience aux Catastrophes (PIRC)  pour la période 2021-2027 en Tunisie s'articule autour de plusieurs piliers visant à renforcer la capacité du pays à faire face aux catastrophes, en particulier les inondations en milieu urbain, qui constituent une menace majeure. Le premier pilier du programme se concentre sur l'amélioration de la réduction des risques d'inondation en milieu urbain. Il vise à soutenir le gouvernement tunisien dans ses efforts visant à réduire les risques d'inondation en investissant dans des projets matériels spécifiques.

Le deuxième pilier du programme est axé sur le renforcement de la préparation aux catastrophes, en mettant l'accent sur la modernisation des systèmes et services hydrométéorologiques, ainsi que sur les systèmes d'alerte précoce (SAP). Il vise également à renforcer les capacités institutionnelles et organisationnelles dans ce domaine, tout en améliorant la capacité à générer et à fournir des produits et services ciblés vers des secteurs socio-économiques spécifiques, tels que le transport et l'agriculture.

Le troisième pilier du PIRC se concentre sur le renforcement de la protection financière contre les catastrophes. Il s'agit de soutenir les efforts déployés par le gouvernement tunisien pour mettre en place une stratégie financière efficace qui combine des instruments financiers souverains avec des solutions assurantielles provenant du secteur privé. Cette approche permettra de mobiliser les ressources nécessaires pour répondre aux besoins de financement en cas de catastrophe.

Enfin, le quatrième pilier du programme vise à promouvoir la coordination institutionnelle et à créer un environnement propice à la gestion des risques climatiques et des catastrophes (GRC). Cela implique la mise en place de mécanismes de coordination au sein du gouvernement et la création d'une unité de résilience permanente. De plus, une plateforme nationale dédiée à la GRC sera établie pour faciliter la collecte, le partage et la diffusion d'informations et de bonnes pratiques en matière de gestion des risques de catastrophe.

En conclusion, la Tunisie est confrontée à un ensemble de défis et de menaces liés aux risques de catastrophe, en particulier en ce qui concerne les changements climatiques. Cependant, le pays s'engage fermement à renforcer sa résilience et à intégrer la Réduction des Risques de Catastrophe dans toutes les sphères de développement. La création de la Plateforme Nationale de RRC et la mise en œuvre de la Stratégie nationale de RRC à l'horizon 2030 témoignent de cet engagement et visent à protéger la vie et les moyens de subsistance des citoyens tunisiens tout en contribuant à la sécurité globale du pays.

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Dr.Nouha Belaid


Pollution et solutions durables

Articles de l'auteur

Dr.Nouha Belaid


Nouha, fondatrice de "MY Science", est passionnée par la diffusion de l'information scientifique, la promotion de la santé publique et la sensibilisation au changement climatique. Elle a fondé le Forum des "Journalistes Scientifiques en MENA" et a été élue au Conseil d'Administration de la Fédération Mondiale des Journalistes Scientifiques au Canada.

Depuis 2013, elle collabore avec des organisations internationales en tant que consultante et formatrice. Elle détient un doctorat en sciences de l'information et de la communication et un master en droit public. En 2021, elle a lancé une plateforme médiatique en Tunisie. Nouha cherche toujours à avoir un impact global dans les médias et la communication.


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