Prolifération des déchets: le goût amer de la délivrance…


La crise a entraîné des effets néfastes sur le plan écologique, économique, sanitaire et social, qui nécessitent aujourd’hui des solutions et des stratégies efficaces pour résoudre durablement le problème des déchets et le transformer en un levier économique selon une approche où la responsabilité est partagée entre Etat central, collectivités et citoyens.

Durant cette décennie, la dégradation de la situation écologique et la prolifération des déchets solides et des décharges anarchiques ont énormément augmenté dans le pays, que ce soit dans les zones urbaines ou rurales. Ce laisser-aller écologique à l’échelle publique, communale et individuelle pourrait être expliqué par l’absence d’une volonté politique avec l’insuffisance des mesures institutionnelles et l’absence d’une vision claire concernant la politique écologique adoptée par l’Etat pour résoudre le problème des déchets et amener les citoyens et les opérateurs économiques à s’engager pour la cause écologique.

Même l’ensemble de réformes entamées (suppression des sacs noirs dans les supermarchés, multiplication des espaces verts, multiplication des projets de lois concernant la protection des milieux naturels…) n’ont pas apporté un réel changement dans la situation environnementale ni à la vie du citoyen, étant donné que les solutions sont limitées ou qu’elles n’ont pas été véritablement appliquées sur le terrain.

Face à cette situation alarmante qui continue à s’envenimer pour porter atteinte au bien-être des citoyens, le Forum tunisien des droits économiques et sociaux (FTDES) vient d’élaborer, durant le mois d’août 2022, une nouvelle étude baptisée «Prolifération des déchets en Tunisie : difficultés, enjeux et solutions pour un véritable éveil écologique».

Un problème à multiples facettes

Suite à une sensibilisation quasi-inexistante et en l’absence de sanctions à l’encontre des pollueurs, en plus d’une gestion politique inefficace, les déchets se sont entassés avec le temps dans toutes les zones pour faire partie de la réalité quotidienne du pays. En effet, presque dans toutes les régions, la situation est critique et la collecte des déchets pose un problème grave. Rares sont les zones habitées ou inhabitées où il n’y a pas de déchets en Tunisie. En partant des grands boulevards, jusqu’aux toutes petites ruelles, les déchets sont présents partout.

En l’absence de contrôle ferme et face à l’inaction de l’ensemble des acteurs intervenant dans le secteur de gestion des déchets, les déchets domestiques et ménagers ont envahi l’ensemble du pays au point de faire partie intégrante du paysage et du quotidien des citoyens. Les déchets et les ordures sont omniprésents dans les zones résidentielles et même touristiques au point que c’est parmi les premières choses que remarquent malheureusement les touristes qui visitent notre pays. Au-delà de la menace qui pèse sur la santé du citoyen et le secteur du tourisme, les citoyens se sont habitués aux ordures qui se répandent partout au point que le nombre des personnes qui se préoccupent de l’environnement se réduit de jour en jour.

Même si le pays n’a jamais véritablement appliqué des mesures fermes pour réduire la pollution et les déchets, il serait pertinent de comprendre pourquoi ce n’est qu’aujourd’hui que le problème est devenu hors de contrôle. En effet, avec la révolution, les langues qui avaient jusque-là peur de critiquer le régime politique, y compris en matière de traitement des déchets, se sont déliées pour dénoncer haut et fort le problème environnemental et écologique dont souffre le pays. Cela explique en partie le fait que, dans plusieurs régions du pays, les manifestations ont pris de l’ampleur et les médias ont commencé à en parler sans craindre la censure et le courroux des autorités.

D’un autre côté, le comportement du citoyen tunisien a changé avec les libertés et les droits octroyés par la révolution et on assiste aujourd’hui à un plus grand laxisme de la population en matière d’écologie et de gestion des déchets. Alors que dans le passé, il y avait, chez le Tunisien, une certaine peur des amendes, des sanctions et du pouvoir de l’autorité, ces craintes semblent s’être dissipées au lendemain de la révolution étant donné que, selon les chiffres publiés, seuls 25% des citoyens payent la taxe d’habitation incluant une taxe sur les déchets.

8 millions de m3 de déchets de construction et de démolition

En plus de l’absence de la contribution des particuliers par le paiement des taxes, on assiste, aujourd’hui, à une multiplication sans précédent des décharges de déchets de construction. Selon Ibtissem Ben Ahmed, présidente du Groupement professionnel de nettoyage, de collecte, de transport et de recyclage des déchets (Nctrd), le nombre des dépôts anarchiques recevant ces déchets de chantier a explosé après la révolution pour atteindre environ 290. Les données du ministère de l’Environnement indiquent que, les déchets de construction et de démolition accumulés dans le pays, depuis l’an 2000, ont atteint environ 8 millions de m3, dont 70% se trouvent dans les grandes villes côtières (Tunis, Sousse et Sfax). Ces dépotoirs à ciel ouvert sont créés par des individus qui veulent se débarrasser des déchets de construction sans payer de frais. Ils louent les services de chariots ou de camions qui jettent les déchets dans les plaines.

Peu à peu, ces endroits se transforment en décharges sauvages qui sont alimentées par d’autres citoyens qui viennent y jeter leurs déchets domestiques. Ridha Meksi, directeur général des services techniques à la municipalité de Tunis, a indiqué pour sa part que 160.000 m3 de déchets de construction et de démolition ont été jetés dans la nature d’une manière anarchique durant ces dernières années.

Pour les déchets ménagers, chaque Tunisien produirait en moyenne 365 kilos de déchets ménagers par an, soit 1 kg de déchets par jour. Un article publié par l’association Jamaity indique que 0,14 kg de déchets plastiques sont produits par personne et par jour. Un rapport publié par l’Agence nationale de protection de l’environnement (Anpe) en 2020 confirme que la quantité de plastique moyenne générée par habitant serait d’environ 23 kg/an pour l’année 2018.

Dans ce même rapport, sur une quantité annuelle de déchets plastiques de 250.000 tonnes, 28% seraient dispersées dans la nature, 4% dans la mer tandis que 4% uniquement de la quantité sont recyclées. De ce fait, la Tunisie demeure l’un des plus grands pays consommateurs de polymère (plastique) dans la Méditerranée.

Beaucoup de lacunes

L’incapacité de l’Etat à gérer le problème des déchets et la multiplication des décharges sauvages et des dépotoirs ont conduit à une vague de contestations dans plusieurs régions du pays.
Le nombre important de manifestations, de sit-in, de blocage des centres de collecte de déchets ménagers et la dynamique des activistes qui luttent contre la pollution, dont surtout les mouvements “Manish Msab” et “Saker Msab” prouvent que le problème de traitement des déchets est avant tout le résultat de l’incapacité des acteurs de base à trouver des solutions au problème des déchets mais que c’est aussi un problème de politique nationale inappropriée et de structures publiques inefficaces.

Jusque-là, les autorités ont surtout déplacé le problème au lieu de le traiter. Lorsqu’une zone habitée est submergée par les déchets, que la population est victime de problèmes d’asphyxie ou de maladies et qu’une décision juridique est prise pour la fermeture d’une décharge, les autorités créent une nouvelle décharges dans une autre zone rurale pour stocker les déchets des zones urbaines.

Avec la surmédiatisation des dépassements et dysfonctionnements dans les décharges, de plus en plus de citoyens s’opposent à la création de décharges dans leurs zones d’habitation. A long terme, le même scénario auquel nous avons assisté à Borj Chakir, à Agareb et dans d’autres zones va se reproduire plus fréquemment du moment que l’Etat n’adopte pas une véritable stratégie pour traiter les déchets d’une manière durable.

En revenant au cadre législatif, l’ensemble de ces écarts et entraves est en inadéquation avec le cahier des charges n°2, relatif aux modalités et aux conditions d’exercice des activités de recyclage et de valorisation des déchets non-dangereux, stipulé par la loi n°2001-14 du 30 janvier 2001.

Il serait intéressant à ce stade de comprendre ce qui se passe concernant les déchets qui sont récupérés dans les décharges publiques et qui ne représentent qu’une partie des déchets générés par les citoyens. Selon Walim Merdaci, expert en gestion de déchets, 85% des déchets collectés dans les bennes à ordure sont envoyés dans des centres d’enfouissement techniques tandis que le reste est entassé dans des décharges sauvages ou laissé dans les rues et les espaces urbains. En revanche, seulement 4 à 7% des déchets ménagers sont recyclés.

Alors, qu’une infime partie qui ne dépasse pas les 4% est recyclée tandis que le reste est entassé jusqu’à ce que l’Etat trouve un espace où enfouir les déchets.

L’enfouissement des déchets, une opération extrêmement coûteuse

Et à ce niveau, il est inutile de rappeler que la technique d’enfouissement des déchets représente un danger pour la flore, la faune et les nappes phréatiques. Les dangers d’empoisonnement et de détérioration du sol font partie des conséquences directes de l’adoption de l’enfouissement des déchets. Selon un rapport de l’Anged de 2018, il existe 13 décharges contrôlées ou centres d’enfouissement technique (CET) qui assurent la desserte de 55% de la population tunisienne.

Non seulement ces CET ne couvrent que la moitié de la population tunisienne, mais de plus ils ne représentent pas une solution écologique, d’où l’insatisfaction générale à l’échelle nationale qu’ils génèrent. Sur le plan économique également, l’enfouissement des déchets est extrêmement coûteux. En prenant la décharge de Jbal Borj Chakir comme exemple, qui reçoit le plus de déchets annuellement avec plus de 900.000 tonnes, l’enfouissement coûte à l’Etat entre 150 et 200 dinars la tonne, selon les propos de Tarek Masmoudi, le chef d’une entreprise de recyclage de déchets.

Les déchets enfouis se composent entre autres de matières organiques, de plastique, de déchets de construction contenant des métaux et des objets qui peuvent être réutilisés et réintroduits dans le circuit économique. Autrement dit, les autorités environnementales, dont principalement l’Anged, qui devrait transformer les déchets d’un gâchis en richesse nationale, dépensent une immense fortune pour enfouir sous terre un véritable trésor dont l’économie nationale a désespérément besoin en une période d’instabilité politique et de crise économique.

Dans d’autres pays, la valorisation des déchets est un élément crucial des politiques de lutte contre la pollution. En 2018, les Etats qui ont le plus recyclé leurs déchets municipaux sont l’Allemagne (67%), la Slovénie (59%), l’Autriche (58%), la Belgique (55%) ou encore les Pays-Bas (56%).

 

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